Et pendant ce temps-là, en Europe et dans le Monde…

26/02/2019 Non Par Romie LOPEZ

Jean-Louis Bal


Président du Syndicat des énergies renouvelables.
Directeur des productions et énergies durables à l’ADEME

Avant 1973, le photovoltaïque ne s’est développé que pour les applications spatiales.
Le premier satellite avec panneau solaire fut lancé en mars 1958 par les Américains et se nommait Vanguard 1.
Le coût était sans importance et, seul, le poids était un facteur déterminant
Début des années 70, le club de Rome lance son cri d’alarme sur limites de la croissance. Les ressources de la planète ne sont pas infinies.
En juillet 1973, l’UNESCO accueille un congrès « the Sun in service of mankind » 1000 participants du monde entier.
Il en ressortit une vision d’un possible décollage et déploiement à grande échelle de l’énergie solaire pour répondre aux défis de l’épuisement des ressources et des pollutions engendrées par les énergies fossiles et nucléaires.
Le premier choc pétrolier de fin 1973 agit à son tour comme un révélateur des limites de ressources disponibles même si son origine était purement politique.
Depuis 1973, chocs et contre-chocs pétroliers ont continué à infléchir dans un sens ou dans l’autre les politiques de soutien au développement du solaire. Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011 ont été d’autres événements majeurs qui ont fortement influé sur ces politiques.

Le rôle pionnier des USA

En 1973, le marché mondial du photovoltaïque, limité aux satellites était de 10 kWc par an, le prix des cellules terrestres était de l’ordre de 100$/Wc.
Après le premier choc pétrolier, l’administration américaine met en place le premier programme de développement du photovoltaïque aux USA et dans le monde.
L’effort culmina sous la présidence de Jimmy Carter (1977-1981). Le directeur du programme fédéral photovoltaïque était Paul Maycock
Dès le début, des objectifs de coûts/Wc sont élaborés : 0.5$/Wc pour 500MW de capacité, 0.10 pour 50 GW.
En 1978, le congrès US approuve un programme photovoltaïque (R&D) avec l’objectif d’atteindre 10 ans après un niveau de 4,4 GW. L’engagement budgétaire était d’1,5 milliard de $.
Le PURPA (Public Utility Regulatory Policy Act) de 1978 obligeait les compagnies d’électricité à acheter l’électricité solaire à des prix attractifs (« fair »).
De 1977 à 1980, 1300 petits systèmes photovoltaïque (résidentiel, irrigation) furent installés grâce au Federal PV Utilization Programme. A partir de 1980, un crédit d’impôt de 40% fut alloué aux investissements photovoltaïques.
Le budget fédéral R&D atteint 157 millions de dollars en 1980.
Des centaines de bâtiments photovoltaïques furent construits. Parmi les références historiques, retenons le village indien de Schuchuli (Arizona) qui fut la première communauté autonome grâce à l’énergie solaire ou la centrale de Carrisa Plains (Californie), 6,5 MW avec suivi du soleil sur deux axes.
Parmi les Etats américains, la Californie émergea comme leader, offrant notamment des crédits d’impôts encore supérieurs à ceux de l’Etat fédéral.
L’industrie suivit le mouvement et la capacité de production monta à 25MW en quelques années.
Malheureusement, Ronald Reagan succéda à Jimmy Carter et les USA arrêtèrent leur engagement massif dans le solaire.

Le Japon et l’Allemagne prennent le relais

Allemagne

Les premières activités de l’Allemagne dans le photovoltaïque ont également été liées aux applications spatiales dans les années 60 (AEG et Telefunken). L’intérêt pour les applications terrestres émerge avec la participation d’une délégation allemande au Congrès de l’Unesco en 1973.
Quelques mois plus tard, le gouvernement allemand lança le premier programme national de R&D photovoltaïque.
Parmi les premiers directeurs du programme, citons Walter Sandtner qui tint un rôle particulier plus tard. Les Allemands comprirent très tôt l’intérêt de créer des centres de recherche spécialisés. Adolf Goetzberger fut  le premier à créer un institut solaire à Freiberg en 1981 : ISE (Institute for Solar Energy) qui est aujourd’hui internationalement reconnu. D’autres suivirent comme le ZSW (centre de recherche pour l’énergie solaire et l’hydrogène) à Stuttgart et l’ISET à Kassel.
Parallèlement l’industrie allemande a connu  beaucoup de hauts et de bas. Le pionnier AEG a disparu lors de la vente de la maison mère. Siemens a connu le désastre avec le rachat d’Arco Solar (Californien). Ce ne fut pas le cas de Wacker Chemie, le premier producteur mondial de silicium purifié, toujours  leader à l’heure actuelle, ni de SMA, actuel premier producteur mondial d’onduleurs, qui fut créé parallèlement à l’ISET, ni de Schott Solar, producteur  de cellules (SiC) et modules à Alzenau, qui a survécu à une tentative de diversification dans les couches minces avec Nukem. De cette période émergea aussi Wurth Solar qui produit des cellules CIS en couches minces depuis 2008 après avoir acheté une technologie développée par ZSW.
D’autres industriels ont émergé depuis comme Solarworld ou Q-Cells qui connaissent actuellement les mêmes difficultés que l’ensemble de l’industrie photovoltaïque (surcapacité de production par rapport à la demande du marché) et concurrence de la Chine.
Ce qui différencie l’approche allemande de toutes les autres stratégies nationales, c’est d’avoir compris les premiers que la baisse des coûts viendrait d’une combinaison des efforts de R&D et d’une production de masse.
Le programme allemand a été conçu sur base de 3 phases :
1974-1989 : la phase recherche
1989-2000 : la phase démonstration (sans arrêter la recherche)
A partir de 2000 : la phase commerciale
C’est en 1989 que fut confié par le gouvernement allemand à Walter Sandtner  la responsabilité de lancer le programme 1000 toits photovoltaïques (qui furent en réalité 2200). Il fut lancé sur tout le territoire en coopération avec 16 Länder et des instituts de recherche. A cette époque n’existaient que 6 toits photovoltaïques connectés au réseau. Il fallut convaincre les gestionnaires de réseaux (pas de normes existantes sur les onduleurs), les artisans du bâtiment et, surtout, les occupants de ces bâtiments. Beaucoup de séminaires d’information et de sessions de formation furent nécessaires avant de lancer ce programme lourdement subventionné (50% fédéral, 20% Länder). Ce programme fut l’occasion :
– de démontrer que l’on pouvait valoriser l’énergie solaire sans consommer d’espace
– de formuler des normes concernant les onduleurs (40 marques sur le marché)
– d’organiser un monitoring scientifique des installations
– de diminuer de 30% le coût des installations sur la durée du programme.
L’Allemagne était mûre pour lancer l’étape suivante : 100 000 toits photovoltaïques.
Pour faire accepter un tel programme, il fallait un homme d’exception. Ce fut Hermann Scheer, député SPD du Bundestag, ardent promoteur des énergies renouvelables depuis de longues années. 7 ans de bataille politique furent nécessaires pour lancer ce programme, qui était basé sur un tarif d’achat de 99 pfennigs par kWh et un prêt à taux zéro sur 10 ans, le remboursement se faisant sur les années 3 à 10.
Depuis la loi EEG (renouvelables) a pris le relais et définit une obligation d’achat par les compagnies d’électricité avec un tarif d’achat décroissant. Le marché annuel est compris entre 5 et 6 GW et l’objectif 2020 officiel est de 52 GW.
L’Allemagne a été l’artisan principal de la décroissance des coûts (R&D + production de masse) que le secteur a connu.
Suivant l’EPIA, les coûts actuels (climat européen) sont de 0,16 à 35€/kWh (du Sud au Nord) et atteindront 0,08 à 0,18€/kWh en 2020.

Japon

C’est le premier choc pétrolier qui engendra l’intérêt pour le photovoltaïque au Japon et en 1974 fut lancé le fameux Sun Shine Project géré conjointement par le MITI (Ministry of international trade and Industry) et le NEDO (New Energy and Industrial Technology Development Organisation). Notons le caractère industriel dès l’origine de ce programme. A l’image des Américains, les Japonais se fixent des objectifs de coût : 1$/Wc pour 100MW de capacité de production. Le silicium cristallin et le silicium amorphe sont les deux voies identifiées comme probables pour atteindre ces objectifs. Après une période de R&D, le gouvernement japonais lança en 1993 une nouvelle initiative : Basic Guidelines for New Energy Introduction, qui fixe un objectif de 4820 MW à installer à l’horizon 2010, 80% de cette puissance devant être intégrée au bâtiment.
Le programme était basé sur des subventions massives (33% pour les bâtiments privés, 50% pour les bâtiments publics) et une obligation d’achat au prix de vente de l’électricité (net-meeting) (prix de l’électricité élevé au Japon). Les subventions ont été ensuite progressivement réduites à zéro.
A la fin 2010, l’objectif était proche d’être atteint. Le Japon a traditionnellement eu une industrie de photovoltaïque très forte, dans toutes les technologies. Si cristallin, ou films minces excepté le CdTe. Sharp, par exemple, est toujours (depuis 40 ans), un des acteurs majeurs avec plus de 1000MW de capacité de production.

Le rôle majeur de l’Union européenne

Le premier programme de R&D Energie (hors nucléaire) est lancé en 1976. La partie solaire fut confiée en 1977 à Wolfgang Palz qui resta à ce poste jusqu’en 1996. Wolfgang Palz, le plus francophile des Allemands, étaient alors depuis 2 ans à la tête du programme PV du CNES en France. Ces programmes sectoriels s’inscrivaient dans les PCRD (Programme Cadre de R&D) définis pour 5 ans.
Les budgets de ce programme, contrairement à une opinion répandue, n’ont jamais été très élevés : entre 5 et 10% du total des dépenses publiques en R&D en Europe mais ils ont joué un rôle de catalyseurs en appelant les acteurs nationaux à travailler dans les réseaux européens.
Un autre aspect important de l’action européenne fut la création d’une communauté européenne du photovoltaïque avec les conférences European PV Solar Energy Conferences and Exhibition. La première fut organisée à Luxembourg en 1974 (500 participants). La 26ème a eu lieu en septembre dernier à Valencia avec plus de 4500 participants à la conférence 999 exposants et 41000 visiteurs venus de 103 pays.
Dans les programmes de R&D Energie de la Commission Européenne, le photovoltaïque était une des priorités.

Dans le programme photovoltaïque, les efforts portaient tant sur les cellules que sur les systèmes :
– Cellules : priorités au Si cristallin
– Avec notamment les projets  Monochess et Multichess
– Les couches minces n’étaient pas négligées : Eurocad CdTe et EuroCIS CIS
Les autres priorités étaient :
– l’intégration au bâtiment
– le réseau européen d’installation pilote European Photovoltaic Pilot programme 16 opérations pilotes construites à travers toute l’Europe. La plus connue : la centrale de 1MW sur l’ile de Pellworn en Allemagne.

Un autre aspect important fut la proximité et la cohérence entre la DG12 (recherche) et la DG 17 (Energie)  qui gérait les programmes de démonstration.
Après 1995, la Commission Européenne et le Parlements Européen perçoivent que les énergies renouvelables sont prêtes pour un développement massif et publient le Livre Blanc des EnR en 1997. Celui-ci propose de passer de 6 à 12% en Energie Primaire à l’horizon 2010. Ce Livre Blanc est suivi de la directive non contraignante de 2001 sur l’électricité renouvelable.
Vient ensuite la directive contraignante de 2009 sur le 20% d’énergies renouvelables en 2020, qui est aujourd’hui le cadre de référence de tous nos programmes de développement des EnR.
Si j’avais à tirer quelques enseignements de cette quarantaine d’années, le premier serait celui des bénéfices tirés de la constance dans l’effort. Les pays, comme le nôtre, qui ont pratiqué le stop and go ne sont plus dans la course et vont devoir faire d’énormes efforts pour rattraper leur retard.
Le second est la nécessité d’avoir toujours un lien fort entre Recherche, Industrie et Marché, comme l’a montré le programme allemand.
Un dernier enseignement fort est que tout reste possible pour la France mais qu’il ne faut pas tarder.